Elle me parlait de tous les potagers, en agitant les branches, les feuilles, les fleurs, et même la terre.

Nos avant-bras s'effleuraient de sens, elle était sous terre, 

j'étais à son écoute.

Elle me décrit avec précision le potager des coeurs punis.

-" Alors ils étaient rangés là, des coeurs à moitiés mordus, mangés, puis recrachés à la péremption de leurs amours. On les avait gâté puis jeté dans un tas d'ordure, dans un petit mètre carré, le temps les avait fait germer. On  n'entendait plus de larmes, plus de plaintes de ces coeurs autrefois adulés. On voyait des tiges de hargnes et de rancoeurs, porter des tomates acides et amères sur une saison chaude.Des tomates bien rondes étaient noires d'un sang figé, une chair épaisse qui prenait plus rien au soleil et à la vie.Elles poussaient sur des cendres, à l'obligation d'une destinée.Elles n'étaient pas là pour nourrir le monde, elles entretenaient un décor. Elles étaient nées moisies, rabougries, presque difformes et dans l'accablant désastre de leurs croissances, il leur restait une évidence:  Elles étaient nombreuses, pas plus belles, pas plus rayonnantes, elles vivaient serrées dans ce potager des coeurs amputés comme dans un royaume."

 

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